26 auteurs veulent nourrir la vie avec des mots
Le groupe littéraire « Des fleurs et des Poèmes » vient de terminer son premier projet collectif en publiant un recueil de poème avec la participation de 26 auteurs venant des horizons divers du pays. Avec des mots simples- passant par des poèmes- ces auteurs ont traduit, la complexité du réel quotidien. On peut lire dans les poèmes le désenchantement face aux fléaux du monde, le poids du colonialisme sur les anciens pays colonisés notamment Haïti et le rejet total de la prétention universalisante des puissances impérialistes. Des extraits de certains poèmes peuvent nous en servir d'exemples :
Je porte dans ma tête
Les gammes de la vie
Au rythme de nos coeurs
Balançant sur des tapis de nuages
Et pour combler de plaisir
Les vestiges de mon passé
Bruno Emile
Il n'y a plus de mer
Dans les côtes des frontières
Pour noyer mes larmes
Son image bleuâtre de femme caraïbe
Se perd dans l'écrin de la terre
Où brûle mon âme de poète dénudé
Toli
Ô sur la pente creuse de ton regard muet
Tes fils traversent tous le vent de l’atlantique
Dans ce chemin ou nul n’en revienne,
Trappé par les sous-marins dans ce sombre périple
Ils font ainsi le délice des requins.
Eland Guerrier
Dans certains textes, on a l'impression que la ballade romantique entre l'amour comme passion et senti- ment, et l'amour comme raison de vivre, raison d'exister se chemine dans un sentier rocailleux où l'autre n'est non seulement un être désiré ou apprécié mais une partie de soi. En ce sens, les poètes évitent la critique de Pierre Bourdieu, critiquant les hommes du fait qu’ils vivent quotidiennement dans des rela- tions amoureuses à lorsqu’ils en parlent peu. Dans « Des mots pour nourrir la vie », nous pouvons tirer une sociologie de l’amour en Haïti : Le charme et la docilité des courtisans, le dorlotement de l’être aimé ; la nostalgie ou le regret d’un amour perdu ; l’utilisation de toutes les parties du corps comme outil de la sexualité ; le rôle du rêve et des utopies dans la construction des relations. Nous pouvons prendre encore quelques extraits du livre comme illustration :
Je déplie mon cœur
Tel un parachute
Et je vous laisse y entrer
JJJJRolph
Depi jou m kontre w la
zago rèv mwen anfle
vye lide m yo dekale
M pran nan poud lanmou w
Diamant Noir
Et voilà comme il pleut
Sans pluie
Sans eau
Avec l'odeur de ta peau
Anna
Chaque vers du livre s’incruste dans le vécu quotidien des auteurs et/ou de leurs proches. Si le poète utilise le champ imaginaire pour faire cadencer la poésie, c’est pour donner forme aux réels qui se présentent devant lui. Les participants à ce projet ont trouvé la véritable formule pour traduire la matérialité de l’existence à travers des mots et des phrases. Ils maitri-sent assez bien ce qu’écrire veut dire. La maîtrise d'une littérature qui se veut autonome. Nationale et identitaire. Tous les thèmes sont abordés dans cet ouvrage bilingue, ce qui démontre aussi toute la puissance de notre langue nationale, le créole. Notre identité. Notre «Nou» collectif. Une puissance linguistique que l'on peut constater à travers ces vers:
Mwen se yon
gwo gout dlo
nan je lavi
mwen prèske tonbe
tanpri cheri
pase pa anba
atrap mwen
ak kè w
pou van pa
seche m
Lee
M pa konn kilès
Ki banm batistè
Souf mwen se kout zegwi
ki fè bobo lavi ak lanmò.
TS
Il faut surtout souligner que ce livre est réalisé par un ensemble de jeunes, qui pour la plupart ne se connaissent pas en face. Ils se sont rencontrés sur les réseaux sociaux (Facebook, Whatsap), et arrivent à construire une communauté virtuelle pour mieux vivre ce qu’ils ont en commun : L’écriture.
Nous pouvons résumer le livre à un porteur de message ( Pour John, À Mlle Delyju), un exutoire conduisant la voix des auteurs vers le silence des lecteurs. Si certains des participants ont déjà publié des œuvres individuels, la majorité d’entre eux sont seulement des jeunes qui sont animés par la passion d’aller se baigner dans la vague littéraire, mais qui cherche une voix pour y arriver. Le coté le plus appétissant du recueil « des mots pour nourrir la vie », vous le découvrirez en entrant dans un échange direct avec le livre en main.
Jean Verdin JEUDI (Toli), 13 janvier 2017.